Documents e-mail d’origine découverts insérés, pliés, à l’intérieur de l’exemplaire de la troisième édition détenue par la British Library, Cendres : l’Histoire oubliée de la Bourgogne (2001) – peut-être dans l’ordre chronologique de révision du tapuscrit d’origine.
Message n° 162
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Dates 11/12/00 07 : 02
De : Longman@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Pierce –
C’est stupéfiant. Je veux lire la suite !
Est-ce que j’aurai droit à une mention, pour avoir déniché ça ? : -)
Il nous *faut* le reste de votre traduction du manuscrit de Sible Hedingham le plus tôt possible. Nous aurons au moins besoin que vous rédigiez une préface, qui le relie au « Fraxinus ». Pierce, nous ne sommes plus qu’à quatre mois de la date de publication !
Donc… nous devons prendre des décisions. Continuer et publier le « Fraxinus », et ultérieurement le « Sible Hedingham » ? Retarder de quelques mois la publication des *deux* ? Je suis en faveur de la deuxième solution, et je vais vous dire pourquoi.
Si nous pouvons sortir votre traduction de ces manuscrits *en même temps* que sont connues les premières découvertes du Pr Napier-Grant sur le site maritime de Carthage, et avec la possibilité du documentaire télé dont nous avons parlé, alors je pense que nous pouvons rencontrer un succès académique comme il ne s’en rencontre qu’une fois par génération.
Académique et *populaire*, Pierce. Vous pourriez devenir célèbre ! ; -)
Il me faut votre accord pour parler à mon DG du manuscrit de Sible Hedingham. Il connaît bien le secret universitaire ! Que c’est frustrant – il bout déjà d’impatience de poursuivre les négociations avec le conseil universitaire du Pr Napier-Grant, ou avec elle, directement ; et je suis obligée de noyer le poisson. Je ne veux pas que des stratégies internes me retirent ce bouquin ! Dans combien de temps croyez-vous que le prof Isobel sera prête à rendre publics les détails sur le site marin de Carthage ? Quand pourrai-je dire à Jon que nous avons un nouveau manuscrit ? Quand est-ce que je pourrai parler à *quiconque* du Golem de pierre ?
Je ne peux pas vous dire à quel point tout ceci me surexcite !
— Anna
Message n° 304
(Anna Longman)
Sujet : Cendres/Sib. Hed.
Date : 11/12/00 à 16 : 23
De : Ngrant@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Anna –
Il y a des limites à ma rapidité de traduction ! Le latin médiéval est notoirement difficile, et si ce n’était que j’ai l’habitude de cette écriture et de cet auteur, vous devriez sans doute attendre des années ! Après une très rapide lecture complète du manus, je peux affirmer à présent que le document de Sible Hedingham est bel et bien une suite au texte du « Fraxinus », et de la même main. Mais il diffère pratiquement sur tous les points de notre histoire conventionnelle des événements de l’hiver 1476/77. Je ne reconnais pas cette histoire-ci ! Et certains des passages vers la fin du manus résistent de façon quasi impénétrable à la traduction ! Même vers la fin de la section que je m’apprête à vous transmettre, le texte devient très difficile. La langue est obscure, métaphorique : je me trompe peut-être – un temps, une déclinaison, l’emploi inhabituel d’un mot peuvent changer tant de sens ! Gardez en tête qu’il s’agit ici d’un *premier* jet !
Réservons notre opinion. La première partie de ce document – le « Fraxinus » – nous a fourni une description, exacte jusque dans le plan des rues, de la ville que nous avons découverte depuis au fond de la Méditerranée. Il se peut qu’en lisant et en traduisant tard la nuit, je m’embrouille. Je n’ai plus travaillé avec une telle intensité depuis mes examens finaux, et le café et les amphétamines ont leurs limites !
On m’a dit de faire une petite pause, aujourd’hui, avant de me remettre au travail. Isobel veut que je rencontre certains de ses vieux amis de Cambridge (en troisième cycle, elle était en très bons termes avec les gens de physique, semble-t-il) – et l’hélicoptère doit arriver dans une heure.
*Et* l’équipe du ROV a nettoyé le Golem de pierre *in situ* autant que souhaitable avec le nouvel équipement, et je tiens à voir les nouvelles images quand elles nous parviendront. Si le nouvel équipement répond aux vérifications, les premiers plongeurs descendront plus tard dans la journée. Ce que je veux vraiment, bien entendu, c’est poser la main sur cet objet, physiquement. Ça n’arrivera pas avant des semaines – je ne suis pas plongeur ! Même si on réussit à le soulever du fond de la mer, je suis placé très loin dans la file. Il faudra que je me contente pour l’instant des images qui arriveront pendant qu’on dressera les relevés cartographiques de la colonie.
Entre tout ça et le nouveau manuscrit, je ne sais plus où donner de la tête ! J’ai, bien entendu, essayé d’attirer l’attention d’Isobel sur ces nouvelles informations. Étrangement, je l’ai trouvée distraite, brusque.
Inutile de lui dire qu’elle travaille trop – elle a toujours trop travaillé, durant tout le temps où je l’ai connue, et elle passe sur le site, ce qui se comprend, les vingt-quatre heures de chaque jour – et sous la Méditerranée tout le temps que permet la physiologie 1 C’est peut-être pour ça que, lorsque je l’ai interrogée de votre part quant à la révélation publique de détails supplémentaires sur les découvertes archéologiques, elle m’a littéralement engueulé. Il n’y a sans doute là rien de surprenant !
Je lui en montrerai davantage quand j’aurai traduit plus avant.
— Pierce
Message n° 310
(Anna Longman)
Sujet : Cendres/golems
Date : 12/12/00 18 : 48
De : Ngrant@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Anna –
Je me suis dit que j’allais vous tenir au courant : Isobel m’a remis le nouveau rapport sur le « golem-messager » que nous avons découvert sur le site terrestre de Carthage.
Apparemment, le département de métallurgie déclare *à présent* que les matériaux incorporés dans l’ouvrage de bronze au cours de la fonte indiquent une période remontant à *cinq ou six siècles* !
C’est pas gentil de leur part de reconnaître ainsi leur erreur ?
(Oui, je me sens assez content de moi.)
Quand j’aurai eu le temps de lire tout le texte du rapport, je demanderai à Isobel – si j’arrive à lui mettre la main dessus ! – si je peux en disposer, pour l’incorporer en appendice dans notre livre.
Je repars traduire le document de Sible Hedingham
— Pierce
Message n° 180
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Date : 12/12/00 23 : 00
De : Longman@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Pierce –
Je suis ravie ! Comment diable ont-ils pu commettre une telle erreur la première fois ? Le Pr Isobel a besoin de faire appel à un département de métallurgie beaucoup plus compétent. Tant d’inquiétudes pour rien !
Je crois qu’il faut penser à avancer rapidement. Jon Stanley a commencé à faire état de rumeurs dans le réseau des éditions universitaires américaines : apparemment, quelqu’un sait que vous traduisez « quelque chose ». Le « Fraxinus », je suppose – j’ai gardé l’existence de tout le reste absolument confidentielle. Mais, Pierce, je ne peux pas dire à William Davies ce qu’il doit faire de l’original du manuscrit de Sible Hedingham, non ?
Je suppose qu’il existe aussi un réseau de rumeurs en archéologie, et celui-là aussi travaille à plein régime. Pouvez-vous suggérer au prof Isobel qu’un genre de déclaration contrôlée à la presse nous *aiderait* sans doute *vraiment* en ce moment ?
Est-ce que ce n’est pas palpitant, tout ça ? Je suis tellement ravie d’y être mêlée, même si ce n’est qu’à distance !
Amitiés,
— Anna
Message n° 187
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Date : 13/12/00 18 : 59
De : Longman@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Pierce –
IL ME FAUT LE RESTE DE LA TRADUCTION.
C’est bien joli, les théories, Pierce, mais…
Non. Ça ne fait rien. Il s’est passé, il SE PASSE quelque chose. Non ? Je vous dirai pourquoi je le sais…
Je suis rentrée chez moi ce soir, il y a une demi-heure environ, et je me suis effondrée devant la télé, qui diffusait les actualités régionales. Je reçois la chaîne régionale de Londres, ou d’Est-Anglie. Par le plus grand des hasards, j’étais sur les informations d’Est-Anglie. Le reportage principal était un sujet d’intérêt humain sur les retrouvailles entre un vétéran de la guerre et son frère, perdu de vue depuis soixante ans.
J’en ai entendu la moitié – pas de noms –, je me suis assise toute droite et j’ai écarquillé les yeux – j’ai décroché le téléphone en me demandant qui je pouvais appeler, et je me suis aperçue qu’il y avait un message en attente.
Je viens juste de l’écouter. C’est William Davies. Cette voix tellement aimable et distinguée, en train de parler dans le vide à un répondeur. Il veut savoir si j’aimerais m’entretenir avec son frère, Vaughan. Vaughan était « parti ». Il est désormais revenu.
Non, je ne veux pas, je veux que ce soit VOUS qui reveniez en Angleterre pour lui parler, Pierce. Ce n’est pas pour moi, ça, ce n’est pas dans mes cordes. Je suis directrice de collection, pas journaliste ni historienne, et je ne crois pas que j’aie même envie de l’approcher. Je vous refile le bébé, c’est à VOUS de vous en occuper.
— Anna
Message n° 188
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Date : 13/12/00 19 : 29
De : Longman@
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Pierce –
Répondez à mon message !
— Anna
Message n° 189
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Date : 13/12/00 21 : 20
De : Longman@
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Pierce –
Mais lisez votre courrier, bon Dieu !
— Anna
Message n° 192
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres
Date : 14/12/00 22 : 31
De : Longman@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Pierce –
Mais où diable êtes-vous fourré ?
Bon, ça y est, c’est fait. Ce soir, je suis allée en voiture à la maison de retraite, et j’ai rencontré William Davies et son frère Vaughan. Deux messieurs très âgés, qui n’ont pas grand-chose à se dire. C’est triste, vous ne croyez pas ?
Vaughan Davies n’a rien d’effrayant. Il est vieux, c’est tout. Et sénile. Il a perdu la mémoire – le résultat d’un traumatisme de guerre, un bombardement pendant le Blitz. Ce n’est plus un chercheur distingué.
Apparemment, son amnésie est bien réelle. William est chirurgien, et bien sûr, même à la retraite, il a gardé tout un tas de contacts dans le domaine médical, si bien que Vaughan a été examiné dans le meilleur hôpital d’Angleterre, par les meilleurs neurochirurgiens. Amnésie consécutive à un choc traumatique. En gros, il a été bombardé, ramassé dans les ruines, il ne savait plus qui il était, on l’a placé dans une clinique après la Seconde Guerre mondiale, oublié, et puis expulsé dans les rues, il y a quelques années, aux « bons soins de la communauté ».
La police a fini par le ramasser lorsqu’il est arrivé à Sible Hedingham et qu’il a essayé de s’introduire dans son ancienne maison. Il est sérieusement gaga, et personne n’aurait su de qui il s’agissait, s’il n’avait pas été finalement reconnu par un des membres de la famille des propriétaires de Sible Hedingham, à sa troisième ou quatrième tentative.
La piste s’achève en cul-de-sac, Pierce. Il ne se souvient plus d’avoir corrigé la deuxième édition du CENDRES. Il ne se souvient plus d’avoir été un universitaire. Quand il discute avec William, il croit qu’ils ont toujours quinze ans et qu’ils vivent avec leurs parents dans le Wiltshire. Il ne comprend pas pourquoi William est « vieux ». La vue de son propre visage dans le miroir le perturbe.
William se contente de tapoter la main de son frère, et de lui dire que tout ira bien, maintenant. À l’écouter, j’en ai pleuré.
Parfois, je ne m’aime pas beaucoup. Je ne m’aime pas parce que c’est quelqu’un de réel, qui a affreusement souffert ; et son frère est un vieux monsieur charmant, que j’apprécie beaucoup.
Bon Dieu, Pierce, pourquoi est-ce que vous ne consultez pas votre boîte aux lettres !
— Anna
Message n° 322
(Anna Longman)
Sujet : Cendres
Date : 14/12/00 22 : 31
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Anna –
Je ne peux pas m’absenter d’ici en ce moment. Je ne peux pas soustraire du temps à cette traduction ! Vous verrez pourquoi. Vous envoie la section suivante.
Parlez encore à Vaughan Davies, pour moi. *Je vous en prie. * S’il est *le moins du monde* cohérent, demandez-lui : quelle était sa théorie sur le « lien » entre les documents CENDRES et l’histoire – notre histoire – qui l’a remplacée ? Demandez-lui ce qu’il allait publier après sa deuxième édition !
— Pierce
Message n° 196
(Pierce Ratcliff)
Sujets : Cendres
Date : 14/12/00 23 : 03
De : Longman@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Pierce –
VOUS AVEZ PERDU LA TÊTE ?
— Anna
Message n° 333
(Anna Longman)
Sujet : Cendres
Date : 14/12/00 23 : 32
De : Ngrant@
Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et effacés irrévocablement.
Anna –
Non, je n’ai pas perdu la tête.
Il est tard, ici. Trop tard pour continuer à traduire ce soir et d’ailleurs, je suis trop fatigué pour penser en anglais cohérent, sans même parler de latin vernaculaire. Je vous expédie ce que j’ai terminé. Demain, à l’aube, je reprends, mais pour l’instant, je vous dois une explication de mon incapacité à reprendre l’avion pour Gatwick, et la voici.
On vient enfin de me montrer les cartes de l’Amirauté établies pour cette région de la Méditerranée. Comme vous pouvez vous en douter, étant donné l’énorme activité des sous-marins au cours de la dernière guerre, leurs cartes des fonds marins sont extrêmement détaillées et précises.
Aucune d’entre elles ne montre l’existence d’une « fosse » au fond de la mer à l’endroit où nous sommes.
— Pierce